Quarante années se sont évaporées en un clin d’oeil, Avenel et Kessler nous ayant depuis laissés seuls avec Lazro, résistant encore obstinément dans ce monde en furie, quand, sorties d’une boite à chaussures endormie dans un grenier, des cassettes audio préhistoriques ont ressuscité par magie l’existence de ce rare trio, aussi insolite qu’éphémère et aussi en voûtant qu’indispensable à notre appétit d’écouter des musiciens préférant des chemins accidentés d’ornières et de nids de poules, plutôt que le bitume bien trop lisse des autoroutes.
Beauté de la basse déroulant un tapis de cordes prolixes portant le
chant de l’alto ornettien, quand surgit un cri saisissant comme amplifié à travers un porte-voix, souffle traversant des tubes de métal en échos au
déchirement vocal, avant que piano et contrebasse n’installent un ostinato au parfum oriental, superpositions de nappes enivrantes de claviers acoustique et électrique, glissant progressivement vers une douce frénésie atonale, ponctuée des spasmes tranchants du saxophone, loriot messiaenique au vol ondulé, staccato, alto libérant son chant exalté, ivresse étourdissante du trio laissant la mélodie entêtante se dissiper lentement dans l’air, boucles modales jusqu’au silence.
Dissonances électroniques vibrantes évoquant les orgies sonores du
Ra Soleil, saturations arrachées à l’anche laissant échapper des cris sauvages abrasifs, leitmotiv mélodieux déconstruit, swing heurté de l’alto éperdu, traversé de stridences, apaisé par le chant acide d’un flûtiau, contrebasse drapant leur souffle de cascades de pizzicatos nerveux, trio rebondissant par ricochets sur un lac sonore, surprenant par sa richesse créative protéiforme, chacun fécondant les idées de l’autre, chant d’amour ailé, le trio Avenel, Kessler, Lazro, arpente les voies d’une forme de jazz extatique.
Christian Pouget
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Santé !
1982. Deux ans avant 1984. Aujourd’hui, nous ysommes… Largement !
Nous y sommes depuis la fin des années Quarante, lorsque fut écrit le roman d’Orwell ; nous y sommes depuis 1920 lorsque Zamiatine écrivit Nous autres, le roman qui inspira Orwell. Nous y sommes depuis le dix-septième siècle, Hobbes écrivait alors le Léviathan. La Boétie avait
pourtant prévenu cent ans plus tôt par son Discours sur la servitude volontaire ; nous y sommes depuis toujours. Depuis toujours aussi, il y eut des insoumis.
En 1982, le goût du jour se partageait entre le renvoi de la contestation politique aux vieilles lunes du militantisme soixante-huitard — ne parlons pas de celui d’avant ! — et le no-future de la punk attitude. C’était le
début d’une ère cynique dont il semble que l’on mesure maintenant les dégâts, éthiques, politiques, économiques, écologiques. Hic !
En 1982, la musique « dominante » suivait cette pente savonnée. Dans les officines, on repeignait le jazz aux goûts et aux couleurs de l’époque : Acid- Jazz, Nu-Jazz, Smooth Jazz... En face, on proclamait des ukases réactionnaires résumées en une équation sans inconnue : « Jazz = blues + swing ». Entre les deux, le jazz persévérait comme il pouvait dans son être. Son être problématique. Ecstatic jazz nous le rappelle opportunément : existait aussi un ailleurs qui n’était pas un entre-deux. Un
ailleurs : un non-lieu qui pouvait se trouver partout, et, c’en est le corollaire, entrer dans une temporalité soustraite à l’ordre du jour.
À Béziers, ce soir-là, Avenel, Kessler et Lazro épissaient hier à demain en une chaîne ourdie pour tisser la tunique de Nessus à jeter sur les épaules de cette année 82 et leurs semblables : cette musique où des lambeaux
vivants de vieux standards se tordent dans un brasier psychédélique. Ces heures enflammées nous reviennent quarante années plus tard comme un
élixir de joie — un joyeux cocktail molotov.
Philippe Alen
credits
released December 17, 2023
musique : Avenel-Kessler-Lazro
concert organisé par Béziers Jazz Action
enregistré dans la crypte du théatre des Franciscains à Béziers le 12 février 1982, par Christian Pouget
textes Christian Pouget — Philippe Alen
photos Horace — restauration et mastering Jean-Marc Foussat
ce disque est dédié à Mimie, Christine Baudillon, Jean-Marc Fronteau et, post mortem, à Horace…
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